HOMMAGE DU CONSEIL MUNICIPAL D'ENTRE DEUX GUIERS A ANDRE CHANET

(journée de la déportation 2013)

Le 15 février dernier, quelques semaines après Gino Guiseppin, André Chanet nous quittait après avoir été au milieu de nous, 70 ans durant, le témoin vivant des horreurs générées par la barbarie nazie. Automne 1943, la nuit de l'Occupation s'épaissit sur notre région. Les allemands remplacent les italiens comme puissance occupante et ils renforcent la répression. Avec l'aide de la Milice de Darnand, adoubée par Pétain, ils décapitent la résistance de l'Isère lors de la "St Barthelemy grenobloise". Avec la collaboration de la police de Vichy, ils traquent les juifs pour les envoyer dans les camps d'extermination.

C'est dans ce contexte tragique qu'André Chanet, employé de Merlin Gérin, fait, à 23 ans, ses premiers pas dans la Résistance. Le 11 novembre 1943, en patriote qui n'a accepté ni la défaite ni l'armistice, il répond à l'appel à manifester devant le monument aux morts de Grenoble lancé par la résistance. Plusieurs milliers de manifestants crient "à bas les Boches" et chantent la Marseillaise. Tombés dans une souricière, 1500 d'entre eux sont arrêtés. 398, dont André Chanet, seront déportés notamment à Buchenwald en passant par le camp de transit de Compiègne. Le 11 février 1944, André Chanet part pour dora où sont fabriqués les armes secrètes de Hitler, les fusées V2, "le camp d'où personne ne doit revenir".

Déporté politique français avec le n° matricule F 39 850, André Chanet est plongé brutalement dans le dernier cercle de l'enfer des camps de concentration "où il n'y a pas de pourquoi". Dans son ouvrage testament, les hommes ont besoin d'amitié, il a décrit cet univers apocalyptique : "la faim, la soif, les coups et l'épuisement ne laissent souvent qu'une obsession, se nourrir, qu'une volonté, survivre, survivre à tout prix, ce qui peut conduire à l'avilissement, à la sauvagerie ou au désespoir. D'où l'importance du groupe où on peut se laisser aller, se réconforter et se soutenir les uns les autres. Dans cette jungle, l'amitié et la solidarité sont vitales pour ne pas perdre son âme puis sa vie, tout de suite après ... A Dora, dans ce monde des damnés de la terre, il y a toujours quelqu'un qui risque sa vie pour préserver une parcelle d'humanité".

Devant l'avancée alliée, André Chanet et ses camarades sont expédiés à Bergen Belsen en wagons à bestiaux, sans boire ni manger, 7 jours durant. Alors qu'épuisés ils attendent la mort, les anglais délivrent le camp le 14 avril 1945. Le 1° mai suivant, André Chanet est de retour à Grenoble et le 8 mai, à Entre deux Guiers, lors des cérémonies de la victoire, il revêt pour la dernière fois son uniforme de déporté comme pour témoigner à la face du monde que l'Humanité a triomphé de la Barbarie.

Après une carrière professionnelle bien remplie à Merlin Gérin qui l'a conduit à voyager d'un chantier à l'autre, notamment en Algérie où il rencontre Janine, son épouse, il prend sa retraite à Entre Deux Guiers.

Jusqu'à ses derniers jours, il a été, humblement, au milieu de nous, le témoin vivant de l'horreur des camps. Il a, contre vents et marées parfois, dénoncé le scandale du système concentrationnaire et perpétué la mémoire de ses camarades résistants et déportés disparus. Comme il le dit lui-même dans son ouvrage, "C'est pour lutter contre l'oubli, contre la négation des crimes contre l'Humanité que nous avons un devoir de mémoire. C'est pour que cette horreur ne se reproduise pas que nous allons dans les écoles raconter la vie et la mort à Dora".

L'an dernier, André Chanet était encore au milieu de nous, devant ce monument aux morts d'Entre deux Guiers, ce monument qu'il pouvait regarder depuis sa fenêtre en songeant sans doute à tous ses camarades disparus.

L'émotion nous étreint aujourd'hui devant sa place désormais vide mais notre devoir est de nous souvenir de la leçon de vie qu'il nous a donnée et de transmettre le message qu'il nous a laissé en titre de son livre témoignage : "les hommes ont besoin d'amitié et d'amour pour surmonter tous les Dora du monde".

Monsieur Chanet : merci.